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Karoshi & Starbucks

Dernière mise à jour : 26 oct. 2020

Comment Éviter le burn-out, fixer des limites et choisir en conscience ?


# besoins interpersonnels # cerveau archaïque # karoshi # burn out # marketing # estime de soi # choisir en conscience


Les besoins interpersonnels selon Will Schutz

J’ai eu la chance d’être initiée à l’approche de Will Schutz, psychiatre et statisticien américain, qu’il a nommé Élément Humain. Le concept des besoins interpersonnels communs à tous les êtres y est développé et rejoint sur de nombreux points Maslow et sa fameuse pyramide des besoins. Je me concentrerai sur l’approche de Will Schutz en cela qu’elle s’illustre essentiellement dans le cadre de la relation à l’autre.


En effet, Will Schutz a étudié durant de nombreuses années ce qui fait qu’une équipe, un groupe, est performant. De ces travaux, il a élaboré trois catégories de besoins qu’il estime fondamentaux pour la survie de tout être humain.

  • Il nomme “Inclusion” le besoin de se sentir important, d’avoir de la valeur, à ses propres yeux et aux yeux des autres. La peur correspondante est celle d’être insignifiant, sans valeur.

  • Le “Contrôle” correspond au besoin de se sentir compétent, capable d’être en charge de. Nous retrouvons ici le besoin de chacun de se sentir capable et utile. La peur correspondante est celle de n’être pas capable de faire face, d’être incompétent, à ses yeux et aux yeux des autres.

  • Enfin, ce que Will Schutz nomme “Ouverture” fait référence au besoin de se sentir appartenir à un groupe, d’être aimé et de se sentir aimable, au sens où la personne se sent digne d’être aimée. La peur fondamentale associée est celle d’être rejeté, de ne pas être digne d’amour, à ses yeux et aux yeux des autres.

Ce résumé est fort succinct tant l’Élément Humain est riche de nuances qui composent les bases de l’estime de soi. Il permet néanmoins de faire des parallèles forts intéressants avec d’autres courants de pensée et j’y trouve au quotidien des éléments de réflexion quant aux comportements, actions, réactions que je peux observer.


Le cerveau archaïque

Depuis de nombreuses années, je me suis intéressée à la médecine et notamment à des approches parallèles à la médecine traditionnelle occidentale. J’ai découvert une médecine qui fait un lien direct entre le vécu de la personne et les maladies qu’elle peut éventuellement avoir. Souvent, cette approche fait référence au fait que nous avons évolué doucement et progressivement durant des milliers et des milliers d’années pour changer radicalement de mode de vie ces quelques derniers siècles seulement ; mais pas notre corps ni notre cerveau qui n’auraient pas évolué aussi vite que nos comportements. Nos réactions instinctives seraient toujours autant empreintes de nos réactions dites archaïques qui ont régi notre vie durant 99% de notre existence. Et nous serions donc toujours guidés par des instincts identiques à ceux de nos ancêtres Sapiens Sapiens. D’où l’intérêt d’en avoir conscience pour aider notre corps et notre esprit à retrouver l’homéostasie indispensable à son fonctionnement.


Au temps préhistorique, les humains vivent en groupes afin de se protéger et faire face aux dangers (Contrôle). Ils peuvent ainsi répartir les rôles en fonction des capacités de chacun (Inclusion), certains vont chasser, d’autres élèvent les enfants ; il a été démontré que certains sont affectés à fabriquer des outils ou des armes de chasse, ou à élever les enfants, quand les plus âgés gardent une ‘utilité’ jusqu’au bout de leur vie en participant à des menus travaux (préparer les aliments, rester avec les enfants) (Contrôle). Une personne qui meure est une grande perte pour le groupe (Inclusion) qui devient plus vulnérable si le groupe est réduit. Le besoin d’appartenance est vital et intrinsèquement lié à la sécurité et la survie de chacun ; être éloigné ou rejeté du groupe, c’est la mort assurée dans un milieu dangereux et inhospitalier (Ouverture).


De là à penser que nos besoins fondamentaux sont directement en lien avec nos réactions archaïques liées à notre survie, il n’y a qu’un pas que je franchis aisément. De nombreux éléments de notre société actuelle démontrent que le déni de nos besoins fondamentaux nous mène à un stress vécu comme intense et à une perte de lien qui va souvent de pair avec une perte de sens.

Des peuples contemporains mais vivant selon des rites ancestraux ont été étudiés à de nombreuses reprises et les résultats de ces études mettent en lumière la concordance entre leur mode de vie et une santé et équilibre de vie bien meilleur que nous autres au mode de vie occidental. Le lien social qu’ils tissent, le groupe soudé, les interactions entre les générations, les rites symboliques nourrissent-ils des besoins fondamentaux indispensables à l’épanouissement de l’être-humain ?


Arte

Il m’arrive de profiter des joies (parfois envahissantes) de la technologie et d’occuper une soirée à regarder des documentaires sur YouTube projetés sur le grand écran de la tv. La chaîne Arte regorge de sujets divers et variés et sous multiples formats : de 3 minutes à 1h30…


Karoshi : “mort par dépassement du travail”

Ce soir-là, je regarde un reportage d’une trentaine de minutes sur le sujet du burn out au Japon, pays où le taux de suicide lié aux conditions de travail est un des plus élevés au monde. Les japonais nomment le suicide ou la mort subite d’une personne surmenée “Karoshi”, littéralement traduit par “mort par dépassement du travail”. J’apprends que si un accord est passé entre le salarié et son employeur, aucune limitation des heures de travail n’est applicable. Un projet de loi, envisagé grâce aux actions répétées d’associations et syndicats, envisage de plafonner à 100 heures le travail mensuel, ce qui serait une avancée notoire pour les japonais. Moi qui considérais que la France était en retard avec sa manie de s’accrocher au présentéisme comme signe de performance au travail, je découvre avec étonnement l’ampleur de la situation chez nos voisins japonais. C’est ici un très bel exemple de différences culturelles.


Le reportage interviewe un jeune homme, Yamato, 37 ans, qui ne travaille plus suite à un licenciement par son employeur. Il raconte comment son manager le traitait, lui et ses collègues, son harcèlement quotidien, les mots qui lui sont adressés tous les matins à son arrivée : Alors, tu viens me porter ta lettre de démission ? Ce serait une bonne chose vu la manière dont tu travailles, tu es un bon à rien. Tu vas perdre ton travail… Un matin, il fait une crise de panique avant d’aller au travail et très vite, il ne peut plus s’y rendre. Il recevra sa lettre de licenciement peu après et verra ses heures de présence falsifiées par son manager qui transforme ses journées de 11h30 de travail en 8h30 de présence. Les conséquences et l’impact considérables que peuvent avoir un mauvais traitement sur une personne au travail sont ici très clairs.


En écoutant le témoignage de cet homme, alors qu’il raconte que le harcèlement a commencé très vite après qu’il soit embauché et que ses collègues partent tout à tour et que lui s’accroche, comme il dit, je me demande intérieurement : “Mais pourquoi reste-t-il, lui ?” Chaque personne est différente et il existe mille raisons qui font qu’une personne est dans l’incapacité de quitter son travail et de se protéger de comportements néfastes. L’emprise d’un manager en mal de pouvoir (aurait-il un besoin de contrôle non satisfait qu’il compense en harcelant ses collaborateurs ?) peut avoir des conséquences différentes selon la personne qui est sous ses ordres. Ce jeune homme disait lui-même que son manager avait un pouvoir de nuisance considérable sur lui ; manager qui niait jour après jour son importance au sein de l’entreprise, faisait tout pour diminuer sa valeur en tant que personne, dévalorisait sa compétence et remettait quotidiennement en cause son appartenance à l’entreprise qui l’employait en le menaçant tous les matins de le virer. Ses besoins fondamentaux niés, les peurs correspondantes réactivées et entretenues, après s’être senti trois années durant insignifiant, incompétent et rejeté par son manager (et par conséquent son entreprise), son estime de soi s’est effondrée et il a fait une profonde dépression.


Le reportage continue avec cette phrase : “Yamato a fini par reprendre goût à la vie au contact d’autres victimes de harcèlement ou de Karoshi. Chaque dimanche, il se rend désormais à une réunion pour échanger sur leurs souffrances.” Partager son expérience et sa détresse, être écouté et considéré lui fait de nouveau se sentir important. Sentir que son manager est en tort à travers les réactions des autres et leurs témoignages le rassure sur sa compétence réelle et lui donne les moyens de faire face à son épreuve ; il poursuivra en justice son employeur et son manager. Il se sent à nouveau aimé et fait partie d’un groupe dans lequel il nourrit son besoin d’appartenance. Le journaliste a raison, cette association lui redonné goût à la vie en nourrissant à nouveaux ses besoins fondamentaux, même si la reconstruction est souvent longue…


Starbucks

Le reportage terminé, je me laisse happer par un autre sujet (ils sont forts chez YouTube !) : l’ascension fulgurante de la marque Starbucks. Le reportage est long et je ne regarde ce soir-là que la première moitié. Mais j’y trouve à nouveau matière à réflexion...


En effet, toute la première partie du reportage décrit de quelle manière Starbucks s’est rendu indispensable et tendance aux yeux d’une partie de la population. Howard Schultz, qui a racheté Starbucks à ses fondateurs en 1986 (à ne pas confondre avec Will Schutz !), mise sur plusieurs leviers pour rendre sa marque incontournable. La première chose qu’il met en place pour séduire la clientèle est de demander le prénom à chacun de ses clients et de l’inscrire sur son gobelet. Quand la commande est prête, le barista l’appelle par son prénom et non par un simple numéro. Starbucks vise une clientèle aisée capable de s’offrir ses produits de fast-food et fast-drink bien plus chers que la moyenne en proposant un accueil chaleureux à ses clients et en les valorisant. Coup de génie qui vient directement nourrir le besoin d’inclusion, celui de se sentir important et valorisé !

“C’est une multinationale qui s’adresse individuellement à chaque personne. C’est extrêmement malin”, Zev Siegl, co-fondateur de Starbucks.

Il se déclare proposer le meilleur café du monde et présente ses employés comme des baristas experts du café. La clientèle cible a un niveau de vie confortable, ou tout du moins veut s’afficher comme tel. C’est un moyen pour elle, en s’associant à la marque et à sa renommée de se sentir avoir de la valeur mais aussi de se sentir compétent : des clients témoignent du fait que s’ils peuvent s’offrir une boisson chez Starbucks, c’est qu’ils ont les moyens. Ici est nourri le besoin de se sentir compétent, capable de réussir, d’avoir de l’argent ; même si ce n’est qu’une façade. Nombreux sont ceux qui superposent leur propre valeur et leur compte en banque. Les besoins essentiels s’enchevêtrent…


Par ailleurs, il utilise pour ses boissons des dénominations à consonances italiennes assez compliquées, ce qui renforce ce côté huppé mais aussi parce que comprendre et utiliser le “dialecte Starbucks” signifie faire partie de la communauté Starbucks. “Starbucks a compris l’importance de ce langage pour créer un sentiment d’appartenance avec la marque”, analyse Bryant Simon, Professeur d’Histoire à Temple University, Philadelphy. De la même manière que les membres d’un gang sont les seuls à connaître les noms de code de leur gang, ou comme des enfants jumeaux vont développer un langage qui leur est propre et exclu de facto ceux qui ne font pas partie de leur clan. Ici, le besoin de se sentir “dedans” pour reprendre les termes de Will Schutz, appartenir à un groupe et y être accepté est nourri inconsciemment rien qu’en fréquentant le Starbucks du coin.


Starbucks s’est également emparé du concept de troisième lieu développé dans les années 80 par Ray Oldenburg, professeur de sociologie urbaine à l’université de Pensacola en Floride. L’idée première est que ce troisième lieu correspond à celui qu’une personne fréquente quand elle n’est ni à son domicile ni au travail, celui où l’on se réunit pour faire des rencontres, échanger, discuter : une agora avec une dimension clairement politique. Mais Starbucks détourne ce concept en enlevant la dimension politique et en gardant l’essence sous-jacente : la réponse au besoin de lien, au besoin de sentir connecté aux autres, de se sentir faire partie d’un clan, d’un groupe, d’y avoir sa place et de s’y sentir le bienvenu et en sécurité. Starbucks présente ses cafés comme des refuges ouverts à tous pour les rencontres et l’échange, et a un principe, ils ne mettent jamais personne dehors. Dans le reportage, le professeur Bryant Simon explique que la population américaine (la marque est maintenant présente dans 75 pays) a développé une peur profonde de l’espace public et vit coupé des autres. Or, cet individualisme sécuritaire cohabite avec le besoin d’un lieu où elle peut se reconnecter aux autres tout en se sentant en sécurité. Sans toutefois transformer ce troisième lieu en réelle agora puisque les clients sont seuls au milieu des autres.

“Starbucks a utilisé la sémantique du troisième lieu et le désir des américains pour ce troisième lieu sans le créer réellement. Ils ont inventé le café où on est seul, mais en public.” Bryant Simon, Professeur d’Histoire à Temple University, Philadelphy


L’enfer est pavé de bonnes intentions

La force de Starbucks réside dans son approche marketing. Une des questions soulevées par ce reportage est la réelle intention d’une marque multinationale aussi grosse que Starbucks : réelle démarche sociale ou pur marketing déguisé en bonnes intentions ? Les publicitaires et autres marketeurs sont des experts du comportement humain et connaissent sur le bout des doigts la psychologie humaine, qu’ils utilisent pour s’assurer toutes les chances d’attirer le plus de clients possibles. C’est de bonne guerre si on le voit du côté commercial : se rendre agréable aux yeux du client pour l’attirer et le fidéliser. Ça l’est moins quand les stratagèmes mis en place s’apparentent davantage à de la manipulation de masse.


Vivre en conscience

Les besoins fondamentaux mis en lumière par Will Schutz concernent tout un chacun. Nul n’est épargné par ces besoins essentiels de se sentir exister dans la conscience de l’autre, de se sentir compétent et utile et de se sentir appartenir à un groupe, une communauté. Nous avons seulement des différences dans l’intensité de ce besoin, plus marqué chez certains, moins important chez d’autres. La notion de flexibilité est indispensable pour que chacun puisse faire un pas vers le besoin de l’autre sans inconfort, si différent soit-il, et nourrir ainsi sa propre estime de soi et celle des autres.


Mais quel est l’intérêt pour le jeune homme japonais de connaître les besoins fondamentaux de Will Schutz ? Quel intérêt le client de Starbucks a-t-il d’en connaître les manifestations ? Savoir… et choisir.


Vivre en conscience n’est pas confortable. Rester dans le confort de l’ignorance permet de continuer à vivre le quotidien sans se poser de nombreuses questions. Mais si la conscience a un prix, celui du déni est à mon sens plus lourd. Connaître les besoins essentiels à tout être humain permet également de connaître les siens et de les faire respecter. Identifier ses propres besoins, c’est connaître ses limites et avoir les moyens de les fixer avec son entourage, qu’il soit personnel ou professionnel. C’est une des choses qui auraient pu aider ce jeune homme victime de burn out à se protéger de ce manager abusif, à fixer et à se fixer des limites et par conséquent pouvoir éloigner le risque d’épuisement et de dépression. Si je sais ce qui est acceptable, je sais aussi à partir de quand c’est inacceptable et je peux alors prendre des décisions en conscience, si difficiles soient-elles.


Être un consommateur conscient des techniques de séduction des entreprises dont je suis client me permet de déterminer à partir de quand je décide que ma déontologie et mes valeurs ne sont plus respectées. Je peux alors faire un choix en conscience et utiliser le poids de ma voix, de mon vote, de mon achat. Le boycott est le plus grand pouvoir du peuple. Et la connaissance est une des plus grandes menaces pour ceux dont les pratiques sont parfois douteuses.


Vivre en conscience en devient un acte quasiment politique. Mais il est avant tout une démarche libératrice et responsabilisante de la personne. Comprendre les besoins essentiels, vitaux de l’être humain que nous sommes tous, libère les relations, facilite les interactions, nourrit la tolérance envers des modes de fonctionnement parfois éloignés des nôtres, favorise la prise en compte de chacun avec ses différences et ses spécificités, ce qui est un facteur d’épanouissement et de performance quand il est soutenu avec conscience et authenticité.

 



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